Myotypologie, neurotypologie et hypertrophie
Frédéric Marcérou – 21/03/2014
Si vous êtes éducateur sportif sur plateau musculation, il y a fort à parier que la question qui vous est le plus souvent posée est celle du nombre idéal de répétitions à effectuer dans une série pour gagner de la masse musculaire. La réponse la plus communément donnée dans les salles de musculation françaises, et qui est bien trop souvent catégorique, est : « entre 6 et 12 » voire « entre 6 et 10 » suivant le courant de pensée.
Aujourd’hui je vais tenter de battre en brèche cette sacro-sainte idée comme quoi la fourchette 6-12RM est le meilleur moyen de garantir une hypertrophie myofibrillaire, ou dans un langage plus commun, un gain de masse musculaire.
Quand on me pose cette question, ma réponse est la même que d’habitude : « cela dépend ». De quoi ? De plusieurs facteurs, les plus connus étant : le profil athlétique, l’âge d’entraînement, le gabarit (ou morphotype). Les moins connus sont : le tempérament, la myotypologie, ou la neurotypologie. C’est sur ces derniers facteurs que je vais m’attarder.
Flashback
Tout a démarré lors de mes études en BPJEPS AGFF, notre responsable de formation nous avait indiqué que les personnes plutôt maigres (ectomorphes), ayant du mal à gagner de la masse musculaire, répondaient mieux aux séries courtes et lourdes avec un volume total de répétitions peu élevé (protocole 6×6 avec 3 minutes de récupération). D’un autre côté les « gros » gabarits (endomorphes) ayant de la facilité à gagner du muscle mais aussi de la masse grasse répondaient mieux à des séries plus longues, moins lourdes, avec des récupérations plus courtes et un volume total de répétitions plus élevé (protocole 10×10 avec 1’30 de récupération par exemple). Les personnes se situant entre les deux extrêmes (mésomorphes) auraient tendance à répondre favorablement aux protocoles de type 8×8 avec r=2′. J’avoue que cela m’avait intrigué, et quelques années plus tard j’ai fait le lien entre ce discours, mon expérience, et quelques-unes de mes lectures.
Classer l’athlète dans une famille
Partant du postulat que les gens « secs » auraient de meilleurs résultats avec des séries majoritairement courtes et lourdes (ce qui n’exclu pas les autres formes de travail), et qu’à l’opposé les gros gabarits devraient s’entraîner majoritairement en séries « longues », j’ai décidé d’aller plus loin. Ayant toujours cette idée en tête d’individualiser l’entraînement en fonction du profil, je me suis aperçu que certains tempéraments étaient étroitement liés avec certaines qualités physiques, certaines myotypologies et certains profils anthropométriques. J’ai donc pris l’habitude de « classer » les athlètes que j’entraîne dans des « familles » en fonction de :
– Leurs qualités physiques (j’établis toujours un profil athlétique individuel comprenant un radar avec force, force explosive, force vitesse, endurance générale, endurance spécifique, flexibilité).
– Leur tempérament (stressé, enthousiaste, calme, timide, leader, suiveur…).
– Leur morphotype (capacité à gagner/perdre de la masse musculaire, capacité à stocker/déstocker la masse grasse).
– Leur myotypologie (FT= composé majoritairement de fibres rapides, ST= composé majoritairement de fibres lentes, IT= intermédiaire). A ce sujet je ne demande quand même pas à effectuer une biopsie, mais quand j’ai un gars en moins de 3 secondes sur 20m, 150Kg en développé couché, 34 pouces de détente verticale sur Just Jump et qui plafonne à 14Km/h de VMA vous comprenez bien dans quelle famille il sera classé.
– Leur profil anthropométrique (âge, poids, BioSignature).
Pour vous donner un exemple, trois de mes groupes sont baptisés « Formule 1 », « Diesel » et « Dragster ». Pour rentrer un peu plus dans le détail je vais décrire les attributs typiques de l’athlète du groupe « Formule 1 » :
– Qualités physiques : le radar du profil athlétique est clairement orienté vers la force, la vitesse et la force explosive, souvent le côté endurance est défaillant.
– Tempérament : il peut être hyperactif comme très calme, mais souvent stressé dans la vie de tous les jours.
– Métabolisme : il lui est facile de fabriquer du muscle (sauf s’il est trop stressé), mais il a du mal à maintenir sa masse musculaire si le volume d’entraînement est élevé ou s’il y a du travail aérobie. Il est souvent très sec (en dessous de 60mm de masse grasse sur 8 plis).
– Myotypologie : Il est clairement FT, l’endurance n’est pas son point fort. Il ne peut faire plus de 2-3 reps à 90% de sa 1RM en musculation par exemple. Sans biopsie, il est impossible de vérifier, mais le test de Hatfield peut être un bon moyen d’avoir une idée s’il est correctement exécuté.
Bien sûr, chaque athlète ne convient pas à 100% à un groupe donné et il y a toujours des exceptions, mais j’ai quand même trouvé beaucoup de corrélations. Ce constat ainsi que cette classification rejoignent les idées de la méthode de profilage d’Eric Braverman, Charles Poliquin ou Olivier Bourquin appelée Neurotypologie.
Quel est le rapport avec l’entraînement ?
Le fait de classer les athlètes dans des groupes va permettre d’orienter leur entraînement en fonction de leur profil. C’est ici que je fais le lien avec l’idée énoncée par mon responsable de formation, on peut proposer un protocole plus adapté pour avoir de meilleurs résultats en fonction de la personne que l’on a en face et de ce que l’on sait sur ses caractéristiques. Par exemple les seuils d’excitation des unités motrices, les temps de récupération nécessaires en fonction du type de fibre majoritairement recruté, etc. Si je prends l’exemple du travail de conditioning, et après avoir lu quelques articles intéressants, je pourrais plutôt proposer à un athlète du groupe « Formule 1 » un travail en HIIT (High Intensity Interval Training) ou en Tempo running qui ont l’avantage de préserver la masse musculaire du fait du volume restreint et de l’intensité élevée. Au contraire un athlète du groupe « Diesel » répondra plus favorablement à du travail cardio-vasculaire plus commun (intensité plus faible et durée totale de séance plus longue).
Le rapport avec l’hypertrophie
Je reviens enfin au sujet de l’article, à savoir battre en brèche le mythe catégorique de la fourchette 6-12RM. Pour cela je vais prendre l’exemple des pratiquants d’un sport que j’adore, l’haltérophilie. Vous vous êtes sûrement déjà attardé sur la circonférence des cuisses et l’épaisseur des fessiers des haltérophiles, ces gars-là respirent la puissance et la fibre rapide à plein nez. Quand on sait qu’ils ne dépassent quasiment jamais les 5 répétitions en série (y compris en période foncière, ou PPG), on voit que l’argument de la fourchette des 6-12RM a déjà implosé en plein vol. Alors comment ces compétiteurs-là arrivent-ils à gagner autant de masse musculaire de qualité sans quasiment jamais dépasser la série de 5 en épaulé, squat, tirage, et souvent 3 en arraché ? La réponse se trouve dans la fréquence de l’intensité. Une intensité sans cesse renouvelée, jour après jour, obligeant leur système nerveux à aller recruter les grosses unités motrices, génératrices de force, de puissance, de vitesse et de masse musculaire. Lorsqu’il y a une charge lourde à mobiliser avec de la vitesse, ce sont les fibres rapides qui font le boulot, celles qui ont la capacité la plus importante à s’hypertrophier.
Dans mes lectures, deux entraîneurs ont aussi marqué mon esprit à ce sujet, il s’agit de Christian Thibaudeau et Charles Poliquin. Ce dernier utilise souvent le drop set pour favoriser l’hypertrophie. L’un des protocoles qu’il propose dans son livre Modern Trends in Strength Training s’intitule d’ailleurs « Le drop set pour personnes à fibres rapides ». Il consiste à démarrer la première série avec une charge très lourde, aux alentours de 2-3RM, et de procéder ensuite à 2 décharges de 5%, la haute intensité de départ faisant que chaque passage sous la barre ne comportera qu’1 à 2 reps. Le but étant de ne pas « griller » l’athlète FT avec des séries trop longues (de type 10.10.10), et de travailler dans l’intensité et le volume de travail adéquats pour ce type de myotypologie afin d’optimiser la réponse à l’entraînement.
L’utilisation de protocoles d’intensification comme le drop set, le rest pause ou la série étendue grâce à l’avantage mécanique est toutefois nécessaire pour travailler dans la filière recherchée. Mais d’un point de vue purement pragmatique, il est désormais possible d’énoncer que l’on peut gagner de la masse musculaire en travaillant en séries de 3 répétitions.
Exemple de protocole de niveau intermédiaire : le 10×3 de Chad Waterbury
Séries : 10
Répétitions : 3
Intensité : 80-85% de 1RM, ou 5-7RM
Récupération : 60 secondes
Tempo : 20X0
On peut remarquer que le nombre total de séries est élevé, comme pour un entraînement en hypertrophie. L’intensité est haute afin de recruter les FT. La récupération est courte afin de rentrer dans filière anaérobie lactique. La phase concentrique est exécutée avec une intention de vitesse maximale, toujours pour recruter les FT.
Cas concret
Pour conclure cet article sur un exemple concret, je vous propose de prendre connaissance du programme d’entraînement de Damien Cardace, joueur de Rugby à XIII international français, et 3/4 aile des Dragons Catalans.
Après un premier match réussi (3 essais contre Hull FC), Damien a subi une entorse de la cheville lors de notre déplacement à Castleford. La période de convalescence + réathlétisation a nécessité 4 semaines. Durant ce laps de temps j’ai programmé ses séances d’entraînement en musculation et en cardio-training pendant que le staff médical et le préparateur physique en charge des blessés s’occupaient de sa réathlétisation. Nous avons conclu ensemble avec le joueur qu’une augmentation de sa masse musculaire serait nécessaire afin d’améliorer ses qualités de perforation sur le terrain.
Damien pesait 87kg au départ. A la fin de la 4e semaine, il en pesait 91. Damien est l’exemple parfait de l’athlète « Formule 1 ». Il est l’un des joueurs les plus rapides en France, son explosivité (régulièrement entre 32 et 34 pouces de détente verticale sur Just Jump) est de niveau international, ses performances en force maximale sont excellentes surtout sur les membres supérieurs. Il est le joueur avec le taux de masse grasse le plus faible chez les Dragons Catalans, il a de la facilité à gagner du muscle, mais le perd rapidement si le volume d’entraînement est trop élevé. Il est de nature calme. Ce profil purement FT m’a poussé à lui proposer ce type de programmation :
Semaine 1 – Séance 3 :
A – Développé militaire 6×6 (6-7RM) Tempo: 2010 R=180
B1 – Poulie basse prise large, retour en haut des pecs 3×10 (12RM) Tempo: 4010 R=10
B2 – Elévations latérales buste penché 3×10 (12RM) Tempo: 2010 R=90
Semaine 2 – Séance 3 :
A – Développé militaire 5×5 (5-6RM) Tempo: 2010 R=180
B – Destructeur de deltoïdes 3×8 (dur) R=90
Semaine 3 – Séance 3 :
A – Développé militaire 3×3 (5RM) Tempo: 2010 R=120
B – Développé militaire en drop set pour personnes à fibres rapides
1×3 à 3RM R=5
1×3 à 3RM -5% R=5
1×3 à 3RM -10% R=5
1×3 à 3RM -15% R=180
C – Elévations latérales buste penché 3×10 (12RM) Tempo: 2010 R=60-90
Cardio-training 2 fois par semaine (HIIT) :
3 x 4′ de Tabata en boxe R=90
10x 10″ de boxe en puissance R=10
Train smart.