Foam rolling, stretching… et si vous amélioriez VRAIMENT votre mobilité ?

Hugo Scaloni – 29/02/2020

Nous allons dans cet article définir ce qu’est réellement la mobilité, puis essayer de comprendre comment il est possible de l’améliorer sur le long terme. Qui dit gain de mobilité, dit gain d’amplitude, reste à voir de quelle amplitude parle-t-on…

L’amplitude articulaire

C’est la quantité de mesure d’un mouvement passif d’une articulation. Elle s’exprime en degrés. Une articulation est constituée de deux os et de tissus périarticulaires : capsule, ligaments, cartilage, membrane synoviale, etc. Ce sont ces éléments qui déterminent l’amplitude articulaire.

Si je mesure la flexion de hanche passive d’un patient sur une table, j’arriverai jusqu’au contact os-os ou à la tension maximale des tissus périarticulaires, cette amplitude correspond à l’amplitude articulaire maximale, elle est d’environ 120 à 135° chez un patient lambda.

Mais si je demande au patient de réaliser une flexion de hanche active jambe tendue, et qu’il est incapable d’aller au-delà de 90°, on comprend vite que la mobilité n’est pas déterminée par l’articulation mais par les muscles qui l’entourent. Donc si vous essayez de gagner en amplitude articulaire, vous ne gagnerez jamais en mobilité. Vous vous trompez de cible !

Les balles, rouleaux ou crosses d’auto-massage, le flossing (bandes élastiques de contention), les exercices de mobilité à l’élastique, la thérapie manuelle, les tractions articulaires, etc. Tous ces exercices ou techniques visant une augmentation de l’amplitude articulaire sont inefficaces dans un objectif de gain de mobilité sur le long terme lorsque l’on parle d’un sujet sain dont le seul but est le gain de mobilité.

Ces techniques vont créer un échauffement de l’articulation et des tissus périarticulaires. Ces tissus deviennent plus malléables sous l’effet de la chaleur, de l’afflux de sang, et permettent à l’articulation de gagner quelques degrés passivement.

Deux problèmes majeurs : premièrement vous gagnez de l’amplitude dans une zone sur laquelle vous n’avez aucune maîtrise. Si vous êtes amené à aller dans cette nouvelle amplitude à haute vitesse sur le terrain, rien ne protégera votre articulation, c’est dans ces conditions qu’une blessure peut survenir. Deuxièmement ça ne durera pas. Lorsque l’articulation baissera en température, elle retournera à son amplitude initiale. Vous n’aurez
rien gagné.

L’amplitude déterminée par les muscles en lien avec votre articulation est appelée amplitude de mouvement ou range of motion en anglais (ROM), et c’est celle-là qui nous intéresse.

L’amplitude de mouvement (ROM)

Gagner en mobilité c’est gagner en amplitude de mouvement, donc réduire l’écart entre votre ROM et votre amplitude articulaire. Jusque-là tout le monde est plutôt d’accord, mais c’est aussi là que la plupart des gens se trompent, moi y compris pendant plusieurs années.

Un exemple pour illustrer tout ça : J’ai toujours voulu toucher le sol avec la paume de mes mains en gardant les jambes tendues. Vous essayez, mais très vite vos ischio-jambiers limitent le mouvement. Le raisonnement parait logique : il y a trop de ’’tensions’’ dans mes IJ, il faut que je les ’’relâche’’, que je leur ’’redonne de la longueur’’…

Que l’on soit sportif, préparateur physique ou kinésithérapeute, c’est parti pour le grand feu d’artifices de la mobilité : rouleau de massage, pistolet vibrant, tous les types d’étirements passifs (classique, suspension, traction, avec élastique, par chaîne musculaire), massages, trigger points, MTP, dry needling, acupuncture, etc. Toutes ces techniques plus ou moins à la mode, plus ou moins chères, ont toutes un point commun : elles ne fonctionnent pas pour gagner en mobilité sur le long terme… mais elles ont un effet à court terme évident, c’est ce qui les rend si populaires !

Je m’étire, je passe 30 minutes sur le rouleau de massage, mon préparateur physique utilise son nouveau pistolet, et mon kiné relâche mes trigger points. Incroyable, j’ai gagné 10cm d’amplitude, je touche le sol avec mes mains et mon patient a gagné 20° de flexion de hanche sur la table. Malheureusement le lendemain à froid : retour à la case départ, impossible de toucher le sol. Mais comme cela a marché la veille on recommence en utilisant une nouvelle technique ou en y passant plus de temps, si je m’étire tous les jours, je vais devenir souple et mobile.

C’est ce que j’ai fait pendant longtemps avec les patients, les sportifs ou moi-même. Mais après plusieurs années à travailler la ’’mobilité’’, force est de constater qu’il n’y a aucun réel progrès. Je ne touche pas le sol avec mes mains et mon patient est toujours aussi peu mobile. La vision que l’on a de la mobilité est faussée.

Pourquoi ne peut-on pas toucher le sol? Pourquoi nos ischio-jambiers nous empêchent-ils d’aller
dans cette amplitude ?

Le corps est très bien fait, il est le produit de milliers d’années d’évolution, et s’il ne permet pas d’aller dans une amplitude, c’est simplement pour se protéger, c’est un mécanisme défensif de base. S’il ne vous empêchait pas de faire un grand écart, vous vous blesseriez en le faisant ! Alors comment peut-on avoir une action là-dessus ?

Le système nerveux

Ce ne sont pas les muscles qui limitent le mouvement, c’est le système nerveux. Le système nerveux autonome (non volontaire) s’occupe de gérer les amplitudes de mouvement qu’il autorise aux articulations. C’est lui qui déclenche le réflexe myotatique, qui correspond à la contraction réflexe d’un muscle à l’étirement. Pour simplifier, c’est le réflexe myotatique qui empêche d’aller plus loin lors d’un étirement.

Le système nerveux autonome déclenche ce réflexe quand on entre dans une amplitude que l’on ne maîtrise pas. Les tissus (muscles, tendons, fascias…) ne sont pas prêts à aller dans cette zone donc le cerveau dit stop. Il vous protège tout simplement.

Il est possible de « duper » le système nerveux quelques temps avec toutes les techniques énoncées précédemment : écraser les récepteurs sensoriels, échauffer les tissus pour les rendre plus malléables, diminuer le seuil de sensibilité du réflexe myotatique, augmenter la viscoélasticité du muscle, etc. Cela permet de gagner quelques degrés éphémères et reste assez de temps pour prendre une photo avant/après pour Instagram, prouver l’efficacité de sa technique, satisfaire un patient ou un sportif en sortant de sa séance… Mais on ne peut
pas duper le système nerveux autant de temps que l’on veut, il reprendra le contrôle quelques minutes ou heures plus tard, parce que pour lui rien n’a changé, vous ne maîtrisez pas ces amplitudes, et il considère qu’il est dangereux pour le corps d’y aller.

Augmenter sa mobilité par des techniques d’amplitude de mouvement passif (passive range of motion) est une perte de temps, c’est pour cela que toutes ces techniques sont inefficaces et que vous ne gagnez jamais en mobilité sur le long terme.

Alors comment joue-t-on sur son système nerveux pour qu’il nous permette de gagner en amplitude ?

La mobilité, la vraie : le contrôle moteur

La bonne nouvelle c’est que votre système nerveux n’est pas figé, il évolue en fonction des stimuli que vous lui donnez, dans un sens comme dans l’autre.

On a vu que le système nerveux délimite les amplitudes autorisées, que c’est lui qui empêche d’aller au-delà de 90° de flexion de hanche active, alors pourquoi autorise-t-il à aller de 0 à 90° ? Pourquoi considère-t-il cette zone comme sécuritaire ? La réponse s’appelle le contrôle moteur.

Sans rentrer dans les détails, vous êtes capable de produire de la force pour créer un mouvement contrôlé dans cette zone, depuis l’influx nerveux provenant du cerveau jusqu’à la contraction du muscle. La finalité du contrôle moteur est la production de force, si vous arrivez à produire de la force dans une nouvelle amplitude, vous avez gagné en contrôle moteur via une augmentation de l’activation des unités motrices. Si vous avez gagné en
contrôle moteur, cette amplitude est maintenant sécuritaire, votre système nerveux autonome vous autorise à aller dans cette zone, en bref, vous venez de gagner en mobilité, et pas pour quelques heures seulement.

La mobilité est l’amplitude de mouvement active (active ROM), gagner en mobilité c’est gagner activement de l’amplitude de mouvement, c’est à dire produire de la force dans cette nouvelle amplitude. Donc si l’on résume, la mobilité c’est du renforcement dans les amplitudes extrêmes.

Exemples concrets

Une fois ce concept intégré, il est facile de travailler sa mobilité en fonction de ses limitations d’amplitude. Vous voulez augmenter votre flexion dorsale de cheville ? Arrêtez d’étirer le mollet ou de forcer la flexion avec un élastique ou un Kettlebell et faites du heavy sled push (poussée de chariot lourd), de cette manière vous allez produire de la force en flexion dorsale extrême et donc gagner en mobilité.

Vous souhaitez gagner en flexion de genou ? Arrêtez les auto-massages et les vibrations sur le quadriceps et commencez à faire du squat profond avec les talons surélevés. Cela prendra un peu de temps pour arriver à l’amplitude complète si vous n’en êtes pas encore capable mais vous allez produire de la force en flexion extrême. Vous travaillerez également votre mobilité de hanche et de cheville avec le squat profond.

Dernier exemple plus personnel : toucher le sol avec les mains, jambes tendues. Le facteur limitant étant la chaîne postérieure, j’ai opté pour le soulevé de terre. Pour un focus sur les ischio-jambiers et une amplitude complète, j’ai choisi la version soulevé de terre jambes tendues surélevé. En 2 mois, et à raison de 4 séances par semaine, je suis passé d’une barre de 20kg à 90kg et d’une amplitude maximale du milieu du tibia jusqu’au niveau des pieds.

Deux mois peuvent paraître longs mais c’est à comparer avec plusieurs années sans progrès, et les résultats sont conservés un an plus tard tant que je sollicite régulièrement ces amplitudes. Autres conséquences, plus aucune lésion musculaire sur la chaîne postérieure, plus de courbatures après les séances de vitesse, et +20kg sur ma 1RM au soulevé de terre… mais c’est un autre sujet.

Gagner en mobilité

Il y a autant d’exemples que de mouvements, mais vous avez certainement compris le principe. De plus, ces exercices sont présents dans quasiment tous les programmes de préparation physique, et sont donc très simples à inclure dans vos séances.

On peut par exemple insérer ces exercices de mobilité lors des échauffements : si la séance comprend du box squat lourd, l’échauffement comprendra une montée en charge sur du squat profond avant de passer au box squat pour les charges lourdes. J’ai déjà travaillé ma mobilité de cette façon au sein de ma séance.

De manière générale, il faut choisir des mouvements balayant toute l’amplitude articulaire, et même quelques degrés supplémentaires. Que ce soit en dips, traction, squat, soulevé de terre, fente, développé militaire, etc. Bien sûr il va falloir diminuer le poids des barres dans un premier temps et travailler dur pour progresser degré après degré, la mobilité n’est pas un exercice magique qui fait gagner de l’amplitude instantanément. C’est exactement comme le renforcement musculaire, cela demande du temps, de l’intensité et de la constance, mais le jeu en vaut vraiment la chandelle.

Dernière bonne nouvelle, en travaillant de la sorte vous gagnerez 30 minutes sur vos « exercices de mobilité » de début de séance, vous aurez donc du temps supplémentaire pour pratiquer votre sport !

Mobilité spécifique

Les exemples précédents comprenaient des mouvements poly-articulaires qui mobilisent un grand nombre d’articulations, mais il est parfois nécessaire de se concentrer sur un mouvement spécifique, surtout en rééducation après une blessure ou une chirurgie.

Le principe reste le même, produire de la force dans les fins d’amplitude. Cette fois, on isole un mouvement spécifique (rotation interne de hanche, rotation externe d’épaule, etc)., et l’objectif sera de produire une contraction isométrique dans la fin d’amplitude des agonistes et des antagonistes (PAILS/RAILS). Lorsque l’on a gagné suffisamment de mobilité dans ce mouvement spécifique, on peut l’intégrer dans des mouvements plus globaux. Ces techniques requièrent plus de savoir-faire, que ce soit pour isoler un mouvement sans compensation, ou pour les modalités d’exécution. Je vous conseille donc de vous entourer d’un spécialiste, et si
vous souhaitez approfondir le sujet, intéressez-vous au système Functional Range Conditioning (FRC) créé par le Dr. Andréo Spina.

En exemple un tableau récapitulatif des gains en mobilité d’épaule de Jonah Lowe, ailier des Wellington Hurricanes et des Hawke’s Bay Magpies, après sa fracture de la scapula cette saison (accord du joueur et de la province).

Pour conclure, être mobile, c’est être fort dans toutes les amplitudes.

NB : on parle dans cet article uniquement de gain en mobilité, pas de rééducation, de récupération, de performance, ou autre. Les techniques que je dénonce plus haut peuvent avoir un intérêt dans un autre contexte.